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Diane Kruger (Terry Gelernt) & Vincent Cassel (Karsh Relikh) ©2024 SBS Productions, Sphere Films, Pyramide Distribution
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Dans ce qui pourrait bien être son ultime film, The Shrouds (Les Linceuls, 2024), sorti en France un an après sa présentation à Cannes, David Cronenberg (82 ans) revisite son univers cinématographique, en le mixant de préoccupations intimes qu’on imagine nées d’un drame personnel, le décès de sa femme intervenu en 2017 des suites d’une maladie inconnue du public.
Cet aspect intime, que renforce évidemment la ressemblance frappante de Vincent Cassel avec Cronenberg, est tellement flagrant qu’il pourrait presque en devenir gênant s’il n’était alimenté par un foisonnement fictionnel particulièrement ébouriffant.
Comme on peut s’en douter avec le cinéaste de The Fly (La Mouche, 1986), son dernier opus repose sur des technologies plus ou moins déviantes, qui alimentent un scénario tout aussi « déviant » dont les multiples méandres en viennent parfois à faire oublier les enjeux véritables du film. Autrement dit, le squelette (narratif) en vient à dévorer la chair (la plus secrète) de l’œuvre. Ce qui est précisément l’un des ressorts de The Shrouds.
Vincent Cassel, dont c’est la troisième collaboration avec Cronenberg, y interprète Karsh, un homme d’affaires que le décès de sa femme a conduit à monter une entreprise funéraire dénommée Grave Tech, qui permet aux veufs et aux veuves d’entrer en contact avec l’être disparu. Le cadavre est ainsi recouvert d’une pierre tombale informatisée qui, reliée à des capteurs et à des caméras, laisse apercevoir, à travers le linceul, l’évolution du cadavre. Le cimetière numérique permet, selon le propre aveu de Karsh, d’oublier la douleur du deuil et, d’une certaine manière, de retrouver la femme aimée.
Sur ces prémices, on s’attend à une réflexion sur les rapports entre les « linceuls » du titre et le cinéma comme « voile de Véronique » à même de fixer les visages humains. Mais, sans doute parce qu’il s’agit de cadavres et que le temps humain est, pour eux, censé être révolu, ce n’est pas vraiment sur cette voie que s’engage le film de Cronenberg, ni même, plus largement, sur les relations entre le cinéma et la Mort.
Une des « clefs » de The Shrouds serait plutôt à chercher du côté d’un jeu de mots que le film s’emploie à souligner vers le début, et qui a trait aux multiples significations du mot plot (Hitchcock y avait eu également recours dans son Familly Plot/Complot de famille, 1976).
En anglais, le terme peut en effet vouloir dire aussi bien concession funéraire, intrigue ou complot. Et précisément, le film de Cronenberg se situe au carrefour de ces différentes acceptions. À partir du « dispositif » (Karsh est d’une certaine manière un artiste) que constitue le cimetière informatisé, vont en effet se déployer les intrigues et sous-intrigues dont le film se nourrit, parmi lesquelles une sombre histoire de complots ourdis par les Russes, à moins que ce ne soient les Chinois. De fait, The Shrouds est un film qu’on renonce presque à résumer, ce qui pourrait se justifier par une possible (et trop simple ?) interprétation du film comme longue rêverie de Karsh autour de la disparue … Le film débute d’ailleurs par une scène de cauchemar, alors que Vincent Cassel est allongé chez un dentiste qui aura son rôle à jouer.
Toujours est-il que ces ramifications et multiples complots, sortes de métastases narratives (la femme de Karsh est morte d’un cancer …) présentent l’inconvénient de transformer l’aspect fantastique du film en prétexte à une enquête dont l’enjeu nous importe assez peu, et de « plomber » The Shrouds de dialogues explicatifs (même s’ils n’expliquent rien !). Avec de la bonne volonté, on peut évidemment assimiler ces diverses bifurcations du récit à une série de greffes, motif cronenbergien s’il en est (cf. notamment eXistenZ – 1999 – et son bioport) qui se retrouve ici dans les incrustations numériques pirates pratiquées par des inconnus à même le cadavre de l’épouse décédée. Cette dernière « réapparaît » d’ailleurs sous de multiples avatars, à commencer par sa sœur, interprétée par la même comédienne que l’« original » (Diane Kruger), ce qui nous vaut une scène de triolisme virtuel (la sœur morte est simplement évoquée dans les dialogues des deux amants) où Cronenberg paraît se souvenir des étreintes triangulaires de deux jumeaux (Jeremy Irons) avec Geneviève Bujold (Dead Ringers/Faux-semblants, David Cronenberg, 1988). C’est une autre manière de « sauver » The Shrouds : le passé cinématographique de Cronenberg. Mais le film est vraiment trop cérébral pour se révéler troublant ou même émouvant.
Patrick Saffar
Filmographie de David Cronenberg
1975 | Shivers
1977 | Rabid
1979 | Fast Company
1979 | Chromosome 3
1981 | Scanners
1983 | Vidéodrome
1983 | Dead Zone
1986 | La Mouche
1988 | Faux-semblants
1991 | Le Festin nu
1993 | M. Butterfly
1996 | Crash
1999 | eXistenZ
2002 | Spider
2005 | A History of Violence
2007 | Les Promesses de l’ombre
2011 | A Dangerous Method
2012 | Cosmopolis
2014 | Maps to the Stars
2022 | Les Crimes du futur
2024 | Les Linceuls
Bande-annonce : Les Linceuls (2025) de David Cronenberg
Teaser : Les Linceuls (2025) de David Cronenberg
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Écrit par: CINEMUSIC Radio
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