CINEMUSIC Radio : Les + Belles Musiques de Films et Séries
Natalie Portman (Elizabeth Berry) & Julianne Moore (Gracie Atherton-Yoo) par François Duhamel ©Netflix, Gloria Sanchez Productions, Killer Films, MountainA, Project Infinity, Taylor & Dodge
★★★★★
+ d’infos sur CINEMUSIC Radio | soutenir CINEMUSIC Radio | Nous contacter
La première découle d’emblée des premières notes de musique, éminemment reconnaissables, qui accompagnent le générique d’ouverture. Il s’agit de la composition entêtante écrite par Michel Legrand pour Le Messager (The Go-Between, Joseph Losey, 1971). On doit ajouter que, dans le cours du film de Todd Haynes, la partition de Legrand se voit adaptée par un compositeur contemporain, Marcelo Zarvos.
May December procède ainsi, à plusieurs titres, par greffes et variations, fidèle en cela à la démarche du cinéaste sur certains de ses films précédents (cf. notamment Loin du paradis/Far from Heaven, 2002, au regard de Douglas Sirk).
Toutefois, même si le look et la thématique du film de Haynes peuvent renvoyer à celui de Losey, c’est à un autre chef-d’œuvre de ce cinéaste, The Servant (1963), que l’on songe, à mesure que se développent les rapports entre les deux personnages (féminins) principaux, interprétés par Julianne Moore et Natalie Portman. À cet égard, le renversement de point de vue suggéré par May December pourrait bien nous donner à penser que la plus faible des deux n’est pas celle que l’on croit.
La deuxième approche possible du film se rapporte à la figure de l’acteur/actrice. Le scénario, inspiré d’un fait réel et confié à Todd Haynes par Natalie Portman, repose en effet sur la confrontation de Gracie (Julianne Moore), mariée avec Joe (Charles Melton), un Américano-Coréen plus jeune de vingt-trois ans, et d’Elizabeth (Natalie Portman), une comédienne qui s’apprête à incarner Gracie au cinéma et, à cette fin, compte bien, à l’occasion d’un séjour, se renseigner sur le passé tumultueux de cette dernière. Gracie et Joe, à présent installés à Savannah (Géorgie), avaient en effet entretenu il y a plus de vingt ans, alors que Joe n’était encore qu’un jeune garçon, une relation qui avait défrayé la chronique et valu à Gracie une incarcération. A la fois intruse et impliquée, Elizabeth va donc observer son modèle et s’imprégner de sa personnalité, l’un des enjeux du film étant de s’interroger sur la question de savoir jusqu’où on peut aller trop loin dans le « geste » actoral. A cet égard, May December pourrait être un commentaire ironique sur la « Méthode » de l’Actors studio et la nécessité pour un acteur de puiser non seulement en lui-même mais dans les motivations du personnage. En l’espèce, dans une tentative de reenactment, Elizabeth ira jusqu’à « connaître » Gracie intimement, et peut-être se découvrir elle-même, en couchant avec le « corps du délit » (Joe), d’ailleurs consentant …
On atteint là probablement le cœur du film, qui est à relier au passé « honteux » de Gracie et Joe et qui soulève la question, morale autant qu’esthétique, du regard qu’il convient de porter sur un évènement « scandaleux » en son temps. De ce point de vue, on peut estimer que le « fait divers » en question est excessivement estompé par Todd Haynes mais la question qu’il soulève est ô combien contemporaine. Ne sommes-nous pas constamment confrontés à des évènements du passé sur lesquels nous nous voyons sommés de porter un jugement, par définition actuel ? Ce qui vaut pour les situations vaut bien entendu aussi pour les personnages. Jusqu’à quel point peut-on connaître quelqu’un ? Jusqu’à quel point un cinéaste le peut-il s’agissant de ses créations ? La lumière et le cadrage aidant, les plans à contre-jour de May December ont plus d’une fois l’allure d’une radiographie (on aperçoit d’ailleurs à un moment du film une radio de deux mains), mais une radiographie qui, au lieu de chercher à percer le mystère des êtres, en laisserait irradier une silhouette plus ou moins distincte. De leur côté, les jeux de miroir entre Elizabeth et Gracie, évidemment inspirés du Persona (1966) d’Ingmar Bergman, n’épuisent pas davantage les gouffres intérieurs qu’ils se plaisent à suggérer.
L’être humain n’est-il pas en mue perpétuelle (voir l’élevage de chenilles auquel se livre le personnage de Joe, celui qui a probablement le plus évolué depuis le « drame » originel) et la musique de Marcelo Zarvos n’est-elle pas en soi une mue à partir de celle, originale, de Michel Legrand ? A cet égard, le questionnement de Todd Haynes, d’ordre formel (d’où viennent les images et les sons ? Où vont-ils ?) autant qu’existentiel (d’où viennent l’être humain et le personnage ? Où vont-t-ils ?), pourrait être, en creux, proche de celui de son I’m not there (2007) dans lequel il confiait à six acteurs différents (dont une femme) quelques épisodes censés appréhender la vie de Bob Dylan. Le passé, et son incarnation, seraient donc la grande affaire du cinéma de Todd Haynes.
Comme il est dit (par un vieil homme) dans Le Messager de Losey, « le passé est une terre étrangère. On y agit tout différemment ».
Patrick Saffar
Bande Originale Du Film par Matrcelo Zarvos & Michel Legrand (Netflix Music, LLC)
Sortie DVD & Blu-ray : 29 mai 2024 (ARP Sélection)
May December (2023). Réalisation : Todd Haynes. Scénario : Samy Burch, Alex Mechanik. Assistants réalisateurs : Timothy Bird (premier assistant), Michael Anthony Brown (second assistant), Photo : Christopher Blauvelt. Montage : Affonso Gonçalves. Montage Son, Sound Design : Eliza Paley (supervising sound editor), Ingénieur du son : Drew Kunin (Production Sound Mixer). Musique : Marcelo Zarvos (adaptation), Michel Legrand (The Go-Between/Le Messager). Maximo Abraham (Assistant Mix Engineer), Edward Lyle Barton (Score Technical Engineer), Jason Deran (Score Technical Engineer), Riley Finkle (Digital Score Editor), Simon J. Li (Composer Assistant), Randy Miller (Orchestrator), Gretchen O’Neal (Music Clearance), Gregory Polzak (Score Technical Engineer), Philip Rothman (Orchestrator), Derek Somaru (Music Editor), Erich Talaba (Score Mixer). Casting : Natalie Portman (Elizabeth Berry), Julianne Moore (Gracie Atherton-Yoo), Charles Melton (Joe Yoo). Directrice de Casting : Laura Rosenthal. Script : Rebecca Robertson. Direction artistique : Eric Dean. Décoration : Jess Royal. Costumes : April Napier. Sociétés de Production : Gloria Sanchez Productions, Killer Films, MountainA, Project Infinity, Taylor & Dodge. Distribution France : ARP Sélection. Distribution USA : Netflix. Date de sortie (USA) : 29 Septembre 2023 (New York Film Festival, New York), 17 Novembre 2023 (Limited), 1 Décembre 2024. Dates de sortie France : 20 May 2023 (Festival de Cannes)/8 Septembre 2023 (Festival du film américain de Deauville), 24 Janvier 2024 (sortie nationale). Durée: 1h57.
© 2024 – CINEMUSIC Radio – Toute reproduction ou adaptation même partielle est interdite sans autorisation.
+ d’infos sur CINEMUSIC Radio | soutenir CINEMUSIC Radio | Nous contacter
Écrit par: CINEMUSIC Radio
Radio associative consacrée au cinéma et à la musique de films, séries, comédies musicales, jeux vidéo, mais aussi aux spectacles et aux arts, à la pop culture et aux loisirs.