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Demi Moore (Elisabeth Sparkle) lançant le protocole afin d'obtenir une meilleure version d'elle-même ©Working Title Films, Metropolitan Filmexport
★★★★☆
Par Patrick Saffar – Journaliste, historien et critique de cinéma
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Présenté comme un objet gore et body horror, l’un des films les plus étonnants de la compétition officielle du festival de Cannes 2024 aura été fidèle à ce courant féministe que sa réalisatrice revendiquait lors de la cérémonie de remise des prix. Et pourtant l’obsession du jeunisme et de la beauté portée par The Substance à un point de paroxysme, soit le self care comme drogue et la drogue comme autodestruction, n’est pas propre au sexe féminin. C’est dire qu’il est possible de voir d’autres prolongements dans le film de Coralie Fargeat et qu’il ne se résume pas à une nouvelle prouesse d’effets spéciaux après le spectaculaire Titane de Julia Ducournau (2021).
De même, les multiples et évidentes références de The Substance à Stevenson, Kubrick, Hitchcock ou De Palma ne doivent pas masquer que c’est bien à une réflexion sur l’humanité aussi bien que sur l’œuvre d’art que nous convie cette fable autour d’une vedette TV experte en body training (Elizabeth Sparkle) interprétée par Demi Moore, plus vraiment au top de sa forme et en souffrant, qui découvre un jour l’existence d’une substance capable de créer une meilleure version (plus jeune …) d’elle-même.
Se prêtant à cette expérience, fondée sur la division cellulaire, Elisabeth Sparkle « accouchera » d’un double, Sue (Margaret Qualley), susceptible de prendre sa place une semaine sur deux et permettant entre temps à chacune des créatures de se régénérer. À cet égard, rarement aura-t-on à ce point désigné le regard, et donc l’hypnose publicitaire (Demi Moore contemplant l’image de son « double » si attractif à travers la vitre au moment où elle hésite à renoncer à sa piqûre) comme puissance addictive.
Jusque dans la forme exponentielle, exubérante, proprement incroyable que prend la « chose » résultant de l’expérience, le film ne cesse par ailleurs de nous poser une question : peut-on être un autre sans cesser d’être soi-même ? La « voix » de la substance (à trois reprises), de même que notre raison, répondent par la négative. Et pourtant que sont ces étoffes, ces matières diverses dont il semble que nous soyons faits et qui interrogent : qu’est-ce qu’être soi-même ?
Par son existence, la créature composite, horrifiante et fascinante, dans laquelle on peut reconnaître la tête d’Elizabeth Sparkle comme pure excroissance ou incrustation (et non siège d’un cogito) interroge à plus d’un titre : comment nier que, mieux qu’une autre expérience (hormis peut-être certaines expériences limites), l’œuvre d’art nous procure cette sensation de devenir autre tout en restant nous-même ?
L’être humain en tant que tel est-il destiné à devenir multipolaire ? Au-delà de l’autre et du soi-même, telle est la créature inventée par Coralie Fargeat et si on peut trouver que, vers la fin, la réalisatrice tire un peu à la ligne, cela reste cohérent avec son projet esthétique d’une œuvre en devenir (le film, la « chose » et peut-être l’humain), toujours en décomposition/recomposition.
Patrick Saffar
Revue Jeune Cinéma
Une première version de cet article est parue dans la revue Jeune Cinéma n°430 (Été 2024).
Bande-annonce VOST
Bande-annonce VF
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Écrit par: CINEMUSIC Radio
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