CINEMUSIC Radio : Les + Belles Musiques de Films et Séries
Raphaël Quenard (Yannick) ©Chi-Fou-Mi Productions, Atelier de Production
★★★★☆
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Qu’ils s’incarnent en un quadra en pleine crise existentielle, bien décidé à être le seul au monde à porter un blouson (Le Daim, 2019), en deux potes qui se targuent de dresser une mouche géante aux fins de s’enrichir (Mandibules, 2020), en une épouse qui ne cesse d’explorer le sous-sol de sa maison « magique » dans l’espoir de rajeunir (Incroyable mais vrai, 2022), ou même en un pneu, véritable serial killer arpentant le désert californien (Rubber, 2010), les protagonistes de la plupart des films de Quentin Dupieux sont des obsessionnels qui s’emploient à plier à leur volonté un réel d’ailleurs assez peu « raisonnable ».
Le cinéaste qui, depuis la fin du 20ème siècle, alterne compositions électros (sous le pseudo de « Mr Oizo ») et réalisation de courts et longs métrages, est lui-même un boulimique des sons et de la pellicule, mû selon ses propres dires par la seule hantise de s’ennuyer.
Son dernier opus en date, Yannick, semblerait presque une version sage, et « réaliste », des films précédents, si ce n’est que s’y confirme un fond de noirceur en même temps qu’un potentiel comique (certes un peu assourdi) que cristallise essentiellement le personnage de Yannick (joué par l’étonnant Raphaël Quenard, à la diction si particulière) suffisamment têtu pour passer pour un avatar de ceux qui l’ont précédé dans la filmographie de Dupieux.
En 1h7mn, cette nouvelle fable nous enferme dans un petit théâtre sur la scène duquel se joue une pièce (Le Cocu) que l’on pourrait qualifier de « degré zéro du théâtre de boulevard », tant par ce qui y tient lieu d’argument (le mari, la femme, l’amant) que par le surjeu de comédiens en liberté (avant tout Pio Marmaï et Blanche Gardin).
Jusqu’à ce que survienne l' »évènement », du film et de la pièce, la prise de parole imprévue d’un des spectateurs (le Yannick du titre) qui, s’adressant à la salle ainsi qu’aux acteurs sur scène, proclame l’ennui profond qu’il prend au spectacle et reproche aux comédiens aussi bien qu’à l’auteur/metteur en scène (le grand organisateur, notablement absent du film) de lui faire perdre son temps, alors qu’il est venu tout exprès de banlieue pour assister à la pièce.
Le ton adopté par le trublion est tour à tour conciliant (envers plusieurs autres spectateurs avec qui il sympathise et qu’il prend à témoin de sa déconvenue, accomplissant une sorte de stand-up qui en vient à occulter les acteurs « professionnels ») et menaçant, lorsqu’il brandit un revolver en intimant l’ordre aux comédiens du Cocu, particulièrement méprisants à son endroit, de le laisser écrire en direct sa propre version de la pièce (ou du moins de la scène).
Ce qu’il accomplira au cours d’un plan qui, scandé par de curieux sons martelés, adopte, sans doute symptomatiquement, le « point de vue de Dieu ».
Les paraboles particulièrement foisonnantes de Quentin Dupieux possèdent cette grande qualité de n’imposer aucune lecture univoque, alors même que ses « cibles » ou simplement ses préoccupations peuvent s’y deviner aisément : la société de consommation, la sauvagerie du monde, le cinéma « professionnel », le rapport du spectateur au spectacle…
Sous des dehors arbitraires, Yannick n’échappe pas vraiment à la règle, ce qui ne nous empêche pas de proposer une vision personnelle, sans doute inspirée par la toute première image du film (sur générique d’ouverture), celle d’un buste « à l’antique », soit une figure d’autorité.
Partant de là, et du principe que tout spectacle est une prise d’otages consentie, le film décrète moins qu’il ne s’interroge sur la mort de l’Auteur traditionnel, celui en l’occurrence paradoxale du déplorable « boulevard » auquel nous assistons, et dont Yannick déplore l’absence dans les lieux, aussi bien que sur sa substitution possible (souhaitée ?) par une multitude de petits « auteurs », de petits Yannick, des ex-spectateurs soucieux de jouer leur propre partition.
Sur ce qu’on peut penser de ce phénomène bien actuel (doit-on y voir la fin du spectacle ?), Dupieux se garde bien de conclure. Il nous rappelle simplement, sur un dernier plan, glaçant, d’intrusion de la BRI dans le couloir du théâtre (là même où figure le buste antique), que derrière l’A(a)uteur, une présence toujours menace de s’engouffrer, celle de l’autorité.
Patrick Saffar
Bande-annonce
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Écrit par: CINEMUSIC Radio
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