CINEMUSIC Radio : Les + Belles Musiques de Films et Séries
À l'affiche par Patrick Saffar
today29/12/2024
Michel Legrand ©Collection personnelle
★★★★☆
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L’opportunité nous est donnée de pouvoir découvrir coup sur coup deux documentaires consacrés à des artistes, l’un cinéaste et l’autre compositeur, dont il est peu de dire que les chemins se sont croisés, tant leur rencontre a permis l’élaboration d’une œuvre à peu près unique dans le cadre du cinéma français.
Certes, l’histoire du septième art a donné d’autres exemples de collaboration au long cours entre réalisateur et musicien que celle formée entre Jacques Demy et Michel Legrand. Toutefois, ni celle d’Hitchcock et Bernard Herrmann (qui détestait Michel Legrand), ni celle de Brian de Palma et Pino Donaggio, ni même celle de Fellini et Nino Rota, ne sont parvenus à cette relation fusionnelle, et même intime des deux artistes français (à une époque, leurs deux familles vivaient ensemble), à tel point que la vision des deux documentaires laisse deviner une affinité de timbre entre la voix de Jacques Demy et celle de Michel Legrand.
Le sous-titre même du documentaire de Florence Platarets sur Jacques Demy (« Le rose et le noir ») n’est pas le plus original qui soit, tant il serait susceptible de s’appliquer à nombre d’artistes (Mozart, Watteau …), en dehors même du cinéma. Et d’ailleurs, Le Rose et le noir, n’était-ce pas également le titre d’un livre plus ou moins polémique consacré en 1996 par Frédéric Martel à la chronique des homosexuels en France depuis 1968 ?
De fait, le film s’ouvre sur l’image de Jacques Demy, visiblement malade (il mourra du sida le 27 octobre 1990), filmé par Agnès Varda à l’occasion de Jacquot de Nantes (1991). Le regard planté en direction de la caméra, Demy/Jacquot nous fixe, et ce regard, de même que le sourire qui va l’accompagner, nous ne l’oublierons pas … Le plan revient régulièrement le long du documentaire, et c’est bien, semble-t-il, du point de vue de la mort que le parcours de l’auteur des Parapluies de Cherbourg (1964) nous est retracé.
Dénué de voix off « explicative », le film est essentiellement composé d’images d’archives, dont de petites bandes familiales, ainsi que de nombreux interviews avec Jacques Demy. Si l’on veut bien considérer que le documentaire a pour vocation de nous faire toucher du doigt le secret des films de Demy, alors ce recours abondant aux propos du cinéaste est à la fois inespéré (car Demy était plutôt disert) et légèrement frustrant (car ses commentaires nous laissent parfois sur notre faim). C’est notamment le cas de la question complexe de son rapport à la réalité, qui lui fait dire « la réalité ne m’intéresse pas. Je l’aime en même temps. Je voudrais qu’elle soit un peu plus belle », tandis que, sur la noirceur supposée derrière le rose, il peut affirmer que « souvent, la couleur, la musique, masquent le vrai pessimisme du propos. Sans parler de gaieté forcée » ce qui, on en conviendra, ne dévoile rien d’un supposé mystère. Lorsqu’on demande à Jacques Demy ce qui, pour lui, constituait son « obsession », il répond en se référant à « une certaine manière de vivre » …
Si bien que Le Rose et le noir, et c’est là une de ses principales qualités, ne cherche pas à « forcer » l’interprétation de l’œuvre, ni par un sens caché, inhérent aux films, ni par la personnalité de l’artiste. C’est in extremis qu’au détour d’une remarque de Serge Daney, se voient évoqués le rapport à la filiation et la question de l’inceste, évidemment centrale dans Peau d’âne (1970) mais également dans l’ultime film de Demy, Trois places pour le 26 (1988). Loin de se poser comme « clef » d’accès à l’œuvre entière, ce motif de l’inceste permet du moins de relancer l’intérêt pour une filmographie qui reste encore à explorer.
Il était une fois Michel Legrand, dont le titre même fait référence à un conte de fées, présente la particularité d’être à la fois un film sur Michel Legrand réalisé par un admirateur, David Hertzog Dessites, et un documentaire dans lequel ce-dernier intervient en tant que proche du compositeur, ayant peu à peu gagné sa confiance, à même de tourner son film en toute liberté. S’il rend hommage à l’immense talent du compositeur de The Go-Between (Le Messager, Joseph Losey, 1971), David Hertzog Dessites n’en occulte pas moins les aspects les moins sympathiques de Legrand, son irascibilité et son manque de respect envers certains collaborateurs que compense heureusement un charme inaltérable.
À sa manière, Il était une fois Michel Legrand est, à l’instar du documentaire consacré à Jacques Demy, hanté par la Mort, mais une Mort créatrice, dans la mesure où le film est tout entier tendu vers l’ultime concert à la Philharmonie de Paris dont on verra que Michel Legrand, véritablement à bout de forces, sera à même de l’assurer jusqu’à son terme. Pour en arriver là, le documentaire de David Hertzog Dessites aura su, à l’image de son sujet, déployer dans une forme éclatée, une profusion, une générosité dans le tracé d’une carrière marquée par l’éclectisme et même la boulimie (Legrand parle à un moment de sa « faim » de musique). Cela va de ses débuts précoces au Conservatoire, sous l’égide de Nadia Boulanger, à sa collaboration avec le haut du pavé de la chanson française (Aznavour …), de sa rencontre avec les « grands » du jazz (Miles Davis, Stan Getz…) à son apport à la musique de films, à commencer par la rencontre avec l’univers de Jacques Demy.
S’il n’omet pas les prestigieux cinéastes pour lesquels il est arrivé à Legrand de travailler – de Jewison à Mulligan en passant par Godard ou Welles – David Hertzog Dessites laisse toutefois parler son propre cœur en avouant son admiration indéfectible pour la musique particulièrement lyrique de Yentl (Barbra Streisand, 1983). C’est même ce caractère éminemment personnel (on apprend dans le dossier de presse que les parents de Dessites se sont aimés sur la chanson The Windmills of your Mind ) qui fait tout le prix de ce film, et qui confère aux derniers instants (le concert à la Philharmonie de Paris) l’allure d’une transmission.
Patrick Saffar
Bande-annonce : Il Était Une Fois Michel Legrand (2024) de David Hertzog Dessites
Extrait : Jacques Demy, Le Rose Et Le Noir (2024) de Florence Platarets
Extrait : Jacques Demy, Le Rose Et Le Noir (2024) de Florence Platarets
Extrait : Jacques Demy, Le Rose Et Le Noir (2024) de Florence Platarets
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Écrit par: CINEMUSIC Radio
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