Carnets de Cannes par Patrick Saffar

ROMERÍA de Carla Simón

today09/06/2025

Arrière-plan

ROMERÍA de Carla Simón

Carnets de Cannes : Regards sur la compétition officielle 2025

Par Patrick Saffar – Journaliste, historien et critique de cinéma

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Romería

Voilà un film dont la texture aérienne s’apprécie d’autant mieux au regard de l’extrême gravité des évènements qui l’ont suscité. Carla Simón, dont c’est le troisième long-métrage, revient avec Romería sur la perte de ses deux parents, morts du Sida alors qu’elle était enfant.

Romería ©2025 Elástica Films, Ad Vitam – Photo : Quim Vives

 

Pour évoquer cette absence qui est au cœur de son histoire personnelle, la cinéaste s’est inventé un double, une jeune femme prénommée Marina ayant subi semblable perte et qui, afin d’obtenir un document d’état civil établissant sa filiation, se rend dans la ville portuaire de Vigo, en Galice. Munie du journal intime de sa mère, elle va se trouver confrontée à une partie de sa famille paternelle qu’elle ne connaît pas, oncles, tantes, grands-parents d’allure austère qui semblent avoir biffé de leur mémoire quelque lourd secret relatif à l’existence de Marina.

Le caractère spéculaire de la trajectoire de Carla Simón et de Marina (elle suit des études de cinéma et dispose d’une petite caméra vidéo lui permettant de capter des impressions de cette région du bout du monde) aurait pu s’avérer démonstratif à l’excès s’il ne recoupait pas certaines interrogations de l’œuvre : comment filmer l’absence, et surtout, peut-on inventer ses souvenirs ? Ce peut être par les taches de lumière ou les figures à contre-jour qui peuplent la maison familiale, ce peut être aussi par certaines visions (voilier, tour au-dessus de la côte …) qui, faisant retour, deviennent images, tandis que les images deviennent vivantes à partir du moment où elles rencontrent la possibilité d’un souvenir. Ce peut être enfin par le « geste » radical de Marina et de Carla Simón de « ressusciter » leurs parents, devenus deux beaux jeunes gens qui, comme aux premiers jours, découvrent le paysage environnant. C’est cette transparence du regard, autant que la franchise d’une parole enfin revendiquée (« sida », devant la famille médusée) qui fait le prix de Romería.

Patrick Saffar

Romería. Réal, sc, dial : Carla Simón, int : Llúcia Garcia, Mitch, Tristán Ulloa, Musique : Ernest Pipó (Espagne, Allemagne, 2025, 115 min).

 

Note du compositeur Ernest Pipó à propos de la musique du film

Propos recueillis et traduits de l’espagnol par Arnaud Klein

Pour Romería, nous avons pensé dès le début à un quatuor à cordes. Déjà dans le scénario, il était écrit que la musique devait surgir de façon agressive dans la narration, et le quatuor, à mon avis, permet de donner une force particulière. La musique que j’ai composée est très incisive, elle est bien plus dure qu’agréable, donc, tout comme pour Marina (la protagoniste), le quatuor ne facilite pas cette acceptation émotionnelle des circonstances imposées par l’histoire. La musique apparaît aussi chaque fois que Marina parvient à se rapprocher de ses parents à travers l’espace, l’imagination et la mémoire. Pour moi, il a été très inspirant de réfléchir à cet aspect mémoriel pour la composition de la bande originale.
La seconde partie n’a rien à voir. Avec le changement de langage du film, nous changeons complètement de style, et ce sont ces guitares électriques qui prennent le relais. J’ai créé cette partie en improvisant devant l’écran, cela n’a rien à voir avec l’écriture du quatuor, mais j’aime à penser que ces deux concepts, bien que très éloignés, se rejoignent à travers ce voyage temporel et imaginaire. La bande originale conserve ce caractère brut, même si le timbre est totalement différent. Le son de la guitare est né de la volonté de retranscrire cette époque des années 80, marquée par l’héroïne et une fausse liberté.
Romería ©2025 Elástica Films, Ad Vitam – Photo : Quim Vives

 

Synopsis

Afin d’obtenir un document d’état civil pour ses études supérieures, Marina, adoptée depuis l’enfance, doit renouer avec une partie de sa véritable famille. Guidée par le journal intime de sa mère qui ne l’a jamais quitté, elle se rend sur la côte atlantique et rencontre tout un pan de sa famille paternelle qu’elle ne connait pas. L’arrivée de Marina va faire ressurgir le passé. En ravivant le souvenir de ses parents, elle va découvrir les secrets de cette famille, les non-dits et les hontes…

 

Biographie de Carla Simón

Née en 1986, Carla Simón est scénariste et réalisatrice, et grandit dans un petit village de Catalogne. Venant d’une grande famille, source infinie d’histoires, elle va décider de réaliser des films. Après son diplôme en communication audiovisuelle à Barcelone, elle obtient une bourse pour faire un mas ter à la London Film School.
Été 93 (2017), son premier long métrage, est autobiographique. Il a remporté le prix du meilleur premier film et le Grand Prix Génération Kplus à la Berlinale, ainsi que trois Goya, dont celui de la meilleure nouvelle réalisatrice. Le film a représenté l’Espagne aux Oscars 2018, est nominé aux European Film Awards (European Discovery – Prix FIPRESCI) et permet à Carla Simón de recevoir le prix Kering «Emerging Women in Motion » à Cannes. En 2022, aux Giornate degli Autori du 79e Festival International du Film de Venise, Carla Simón a présenté son dernier court métrage Lettre à ma mère pour mon fils, #24 des Miu Miu Women’s Tales, une plateforme de commande de courts métrages pour les réalisatrices.
Son second long métrage, Nos soleils (2022) est lauréat du prestigieux Ours d’Or de la Berlinale. Sélectionné dans plus de 90 festivals internationaux, il a été vendu dans plus de 35 pays. Il a représenté l’Espagne aux Oscars 2023, a obtenu trois nominations aux European Film Awards et remporté 6 prix Gaudí de l’Académie catalane du cinéma. En 2023, Carla a reçu le prix national du cinéma espagnol. Romería, le troisième long métrage de Carla Simón, a été présenté en première mondiale dans le cadre de la Compétition Officielle du Festival de Cannes.

 

Note d’intention de la réalisatrice

Je viens d’une grande famille remplie d’histoires, elle est devenue ma principale source d’inspiration. Les relations familiales me fascinent parce que nous ne les choisissons pas. Mon père est mort quand j’avais trois ans et ma mère quand j’en avais six, tous les deux du sida. La dernière fois que j’ai vu la famille de mon père, c’était à l’occasion de l’enterrement de ma mère, après quoi nous avons perdu le contact. Beaucoup plus tard, au moment d’entrer à l’université, j’ai dû contacter mes grands-parents pour récupérer les certificats de décès de mes parents. C’est à ce moment-là qu’un de mes oncles m’a m’invitée à venir leur rendre visite. Ma curiosité et mon désir de connaître mes origines l’ont emporté sur le ressentiment né de ces années de silence. À 18 ans, je suis donc partie à la rencontre de la famille de mon père pour découvrir l’histoire de mes parents.
Mes parents étaient jeunes lors de la transition démocratique de l’Espagne des années 1980, une période de liberté et d’expérimentation pendant laquelle la jeunesse s’est détachée des valeurs héritées d’une société profondément catholique et conservatrice. Cependant, cette période de liberté tant attendue, connue sous le nom de « La Movida», a également entraîné une crise de l’héroïne, faisant de l’Espagne le plus haut taux de mortalité lié au sida en Europe. Cependant, ces histoires ont souvent été réduites au silence.
Romería est un film sur la mémoire, sur les moments familiaux que nous ne saisirons jamais complètement. J’ai tenté de reconstituer l’histoire de mes parents à travers les souvenirs de ma famille et ceux qui les ont connus, mais je n’ai pas réussi. Évidemment, la nature intrinsèquement fragmentaire de la mémoire entre en jeu, mais le principal obstacle est la stigmatisation qui entoure le sida et brouille ces souvenirs. Cette histoire vise à retrouver l’héritage d’une génération oubliée qui a subi les doubles conséquences de la dépendance à l’héroïne et de l’émergence d’un nouveau virus. C’est une partie de la mémoire historique de l’Espagne qui mérite d’être revisitée.
Frustrée par l’impossibilité de découvrir l’intégralité de l’histoire de mes parents, j’ai opté pour la création du souvenir qui me manquait. Peut-on fabriquer nos propres souvenirs lorsqu’ils n’existent pas ? Pour se façonner une identité, je crois que nous pouvons – et devons – établir une relation plus saine avec le passé. Pour ça, heureusement, j’ai le cinéma.

 

Bande-annonce du film Romería

 

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Écrit par: CINEMUSIC Radio


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